Vincent Lignereux

INDE


En soi chaque instant est parfait
Il n'y a que le présent
 Eternellement neuf et frais
Il n'y a que maintenant
Toujours nouveau
Eternellement
Il n'existe pas de temps
Il n'existe que notre temps
Que nous passons inlassablement à remplir de nous-même
A la pureté de l'instant présent
Nous ne cessons inlassablement de juxtaposer notre propre histoire
A la fraicheur du moment présent
Nous ne cessons inlassablement de surimprimer notre petite mémoire
Notre passé, notre futur, nos pensées, notre petit je
Et nous nous flagellons nous-même inéluctablement
Puissions-nous nous délecter de l'éternel moment présent
Puissions-demeurer stable dans l'éternelle paix de l'instant
Puissions-nous nous fondre dans la magnificence
De l'éternel maintenant








Nous avons oublié ce que les animaux savent encore
Savoir juste être ici, patiemment
Nous avons oublié ce que les arbres et les fleurs savent encore
Savoir juste être ici, calmement
Nous avons oublié ce que les pierres savent encore
Savoir juste être ici, simplement.


Presque à chaque instant
Elle apparaît
Puis disparait
De seconde en seconde
Elle meurt
Et puis elle nait
La pensée
Alors en simple observateur
Je la regarde passer
Pourquoi irais-je me quereller
Avec la réalité?


Corps et mental ne sont jamais satisfaits
Vivent dans le monde des désirs, inépuisables
Ne sont que frustration et peur
Que désirs ne soient assouvis
Jamais rassasiés, toujours agités
Ne s'arrêtent jamais
Lorsque l'égo disparait
La lumière apparait.





Cochin, Kerala, sud de l'Inde, 25 septembre, 17h30. 
 Il pleut, c'est la mousson. Sur la plage, malgré la pluie, des enfants s'amusent à faire des acrobaties, des saltos arrière, des sauts périlleux. Le plus petit a l'air d'être le plus agile. Je suis réfugié sous un arbre, au milieu des barques et des cabanes de pêcheurs. Certains sont là sous leurs petites cahutes en bois et fument des beedies.
Je suis accroupi entre deux barques, tient mon parapluie dans une main et écrit de l'autre. Mon cahier prend un peu l'eau. Des gouttes tombent sur la feuille. Cela fait de belles taches d'encre bleue. J'espère que j'arriverai à me relire.
Les corneilles, perchées sur des piquets ou bien aux extrémités des barques, sur la pointe, tout comme moi ont l'air d'apprécier l'eau. Je me sens bien, habité par une merveilleuse douceur de vivre. Une grosse feuille tombe de l'arbre et vient atterrir presque sur mon pied. Au loin, la mer dessine une belle ligne d'horizon au-dessous d'un ciel gris bleuté. Au loin encore, tout comme de plus près, des bateaux voguent, de toutes tailles. Petites barques, bateaux de pêche de tailles moyennes, et de temps en temps, bien que rarement, d'énormes cargos de fer rouillé.
Une nuée de corneilles virevoltent un peu partout.
J'aime par-dessus tout au monde ces mystérieux moments d'extase où je me sens parfaitement moi-même. Petit homme en contemplation. Je me sens tellement bien que je pourrais pleurer. Pleurer de joie de vivre...
Le ciel, de plus en plus orangé, est magnifique. Silencieusement, une dizaine de femmes, vêtues de saris multicolores, contemplent l'horizon, le ciel, la mer. La marée nous joue sa musique, concerto interminable pour vagues venant s'échouer sur la rive. Les arrangements sont orchestrés par mes amis corbeaux. Et de temps en temps, de manière éphémère, une petite barque à moteur joue un solo unitonal. 
Un indien passe et me salue.
Maintenant le coucher du soleil est extraordinaire. Mon appareil photo est resté dans ma chambre d'hôtel. Tant pi. La terre tourne. Comme il est partageur, le soleil "disparaît" l'espace d'une nuit, allant réchauffer la vie d'autres habitants de ma planète, ailleurs. Tel un homme religieux, je joins les mains et salue symboliquement son immensité.
Un touriste blanc s'avance sur le sable et capture la scène en photo, immortalisant ce magnifique instant. Il s'est avancé, a appuyé sur son déclencheur, et s'en est allé. Cela lui a pris à peu près cinq secondes. Dans sa conscience à lui, sans doute est-il persuadé d'avoir vécu un bel instant.
Voilà bien une heure que je suis là et l'instant est extatique. J'ai, je crois, disparu dans cet instant, il m'a absorbé. Il n'y a plus quelqu'un qui observe et quelque chose d'observé. Il n'y a plus quelqu'un qui contemple et quelque chose de contemplé. Il n'y a plus quelqu'un d'attentif à quelque chose, je suis l'attention, la perception. Il n'y a plus aucun espace entre l'objet et le sujet observé. La nuit est maintenant presque tombée. Tomber, quel drôle de terme. Tomber enceinte! Tomber amoureux! Tomber! Boum! Aïe!
Le jour se dissipe presque complètement et au large, quelques bateaux sont éclairés. La pluie a cessé. Un corbeau se pose sur une branche juste au-dessus de ma tête. 
Je vais aller marcher un peu. Je me sens tellement bien. Je n'ai besoin de rien.


Quoi que vous fassiez
C'est toujours maintenant
Où que vous soyez
C'est toujours maintenant
Qui que vous soyez
C'est toujours maintenant
Vous êtes maintenant
Je suis maintenant
Nous sommes maintenant
Il n'y a pas eu d'hier
Cela s'est passé maintenant
Il n'y aura pas de demain
Cela se passera maintenant
Maintenant.


BRESIL





Le ciel est derrière les nuages
Le vide est derrière la forme
Le silence est derrière le bruit
La paix est derrière la peur
Le calme est derrière l'agitation
L'immobilité est derrière le mouvement
La conscience est derrière la pensée
L'être est derrière tout.

PYRENEES


Je suis assis sur un banc dans un parc derrière l'église de San Pedro
Des hirondelles virevoltent au-dessus du clocher
Des petites filles jouent à la balançoire
Des petits garçons au ballon avec leurs parents
L'instant est complet, sublime, je suis rempli de tout
Je suis vide et rempli à la fois
Démuni et comblé
Je regarde les hirondelles
Mes yeux deviennent humides
Mon coeur en est tout retourné
Et mon corps est léger, comme empli de frissons
Une bouffée de chaleur m'envahit le visage
Des amoureux marchent main dans la main
Des grands-pères promènent leurs chiens
Des jeunes filles sublimes poursuivent leur chemin
Je demande l'heure à un enfant
20h29
Je me lève, je cours
Vite aller chercher de quoi écrire
Un seul besoin, écrire
Je cours, je lève les bras au ciel
Comme un enfant pour dire "j'ai gagné"
Je reviens m'asseoir juste au même endroit
Une jeune femme enceinte est là sur le banc, je m'asseois
Je lui dis "ola", elle ne me répond pas
Les bouffées de chaleur me réenvahissent le visage
Un peu comme de la chair de poule, c'est indescriptible
Mon coeur se soulève
Extase
Ce qui est important n'est plus ce qui se passe
Mais l'instant à l'intérieur duquel les choses se passent
Je ne suis plus quelqu'un
Je suis cet instant
Tout se déroule à l'intérieur de moi
Les gens qui parlent, les chiens qui aboient
Les enfants qui jouent, le ballon qui roule sur l'herbe
La petite fille sur la balançoire, sa maman qui la pousse
Les réverbères, la terre, le gazon
Les arbres et les tobogans
Les jeunes filles en fleur, la fontaine et les jeux pour enfants
Vincent assis sur un banc
Tout cela est en moi
Les hirondelles, l'église, le ciel et le vent
Je suis tout et partout à la fois
Tout est à l'intérieur de moi
Les réverbères s'illuminent
Les yeux de Vincent s'écarquillent 
Et la nuit tombent doucement.

Biescas, Pyrénées espagnoles, 10 août 2012.

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S'asseoir devant un paysage grandiose
Rester là longtemps
Se poser
Se déposer 
Rester suffisamment de temps pour qu'il n'y ait plus de temps
Contempler
En silence
Voir l'égo se dissoudre
Etre absorbé